L’heure antillaise

Il n’y a pas que le décalage horaire de cinq heures entre la métropole et les Antilles françaises ! Il y a une ferveur, une liesse, un enthousiasme, une énergie, une allégresse incroyables à chaque arrivée des solitaires de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe… Et quand un Antillais en termine à Pointe-à-Pitre, qu’il soit aux avant-postes ou au cœur du peloton, c’est un bouquet de joie, de clameurs, de musiques, de fleurs, de cris et de chuchotements, qui fait tourner les cœurs et les corps pour une ivresse communicative.

Il y avait déjà eu cette foule bigarrée et explosive qui manifestait sa joie, son respect et sa connivence avec les vainqueurs et leurs poursuivants de chaque catégorie de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Mais lorsque le skipper a des attaches avec les îles, le curseur de l’exaltation prend des tours ! L’arrivée du premier Marie-Galantais à Pointe-à-Pitre fut un instant de pur bonheur, de gaîté, de ferveur : au son des tambours de l’île antillaise sise à une quinzaine de milles dans le Sud-Est de la Guadeloupe, Dominique Rivard (Marie-Galante) a eu le droit à un concert de klaxons, de sirènes, de cris, de chants, de tam-tams, d’applaudissements pour son arrivée à la vingt-deuxième place des Class40. C’est la première fois qu’un Marie-Galantais effectuait ce parcours de 3 542 milles entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre…

Bouillante et chaudage

La chaleur tropicale est aussi dans les cœurs caraïbes et ici, en Guadeloupe, les mornes ne sont pas des plaines mais des collines d’où l’on peut surveiller les alentours et apercevoir, de la Tête à l’Anglais jusqu’à Vieux-Fort, de Deshaies à Capesterre, de Bouillante à l’archipel des Saintes, de Baille-Argent à Trois Rivières, les solitaires arriver par le Nord et contourner toute l’île papillon par l’Ouest. 60 milles à parcourir jusqu’à la ligne d’arrivée avec un passage à vide « chaud bouillant » dans des vents erratiques et évanescents devant les Îlets Pigeon jusqu’à la bouée de Basse-Terre, puis un passage à plein « chaudage » (plat créole où la viande fraîchement découpée est trempée dans l’eau frémissante) quand le skipper se fait rincer de la tête aux pieds par les vagues abruptes du canal des Saintes sous le souffle des alizés tropicaux !

Ils étaient huit Antillais (sans compter les skippers qui ont passé leur enfance dans les îles caraïbes comme Thibault Vauchel-Camus ou Damien Seguin) au départ de Saint-Malo le 2 novembre dernier à s’élancer pour cette traversée fraîche et puissamment houleuse pour progressivement naviguer dans les eaux tièdes des archipels atlantiques (Açores, Madère, Canaries) et finir dans la chaleur moite chargée de fragrances poivrées et d’effluves aromatiques pimentées. Les bouffées parfumées des îles se propagent souvent loin des rivages et ce sont parfois les odeurs avant même les yeux, qui annoncent la venue de la première terre à l’horizon depuis Ouessant.

Une rafale de rhum

Les Class40 et les Classe Rhum se succèdent à Pointe-à-Pitre depuis l’arrivée des vainqueurs respectifs, Alex Pella (Tales 2 Santander) et Anne Caseneuve (ANEO) : ce dimanche soir, il ne restait plus que dix Classe Rhum et sept Class40 en mer ! Car après le légendaire Sir Robin Knox-Johnston (Grey Power) qui monte sur la troisième marche du podium à 75 ans en Classe Rhum et Wilfrid Clerton (Cap au Cap Location) arrivé en milieu de nuit tropicale samedi, ainsi que deux solitaires amateurs en Class40, Emmanuel Hamez (Teranga) et Brieuc Maisonneuve (Groupement Flo), ce fut le tour du Marie-Galantais Dominique Rivard d’en finir au lever du soleil antillais. Un accueil digne d’une star de rock & roll sous une furieuse salve de percussions fabriquées à partir de bidons en plastique et de fûts métalliques : un concert aussi décibélique que les « Tambours du Bronx » !

En milieu de journée, Maxime Sorel (VandB-MS Sailing Team) et Patrice Bougard (Kogane) se livraient à un âpre duel pour se départager dans la dernière ligne droite entre l’archipel des Saintes et la ligne d’arrivée devant Gosier tandis que Lionel Regnier (April) suivait à quelques encablures… Et pour cette prochaine nuit antillaise, c’est le petit trimaran jaune de Jean-Paul Froc (Groupe Berto) qui doit poindre ses étraves en moins de 22 jours, soit une demie journée environ de moins que le temps de son sister-ship de 1978, vainqueur de la première édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe,Olympus Photo mené alors par Mike Birch (23j 06h 59’ 35)…

Et c’est probablement au petit matin lundi que trois Guadeloupéens vont se présenter devant la place de la Victoire de Pointe-à-Pitre : Willy Bissainte (Tradysion Gwadloup) pour le gain de la sixième place en Classe Rhum, puis Rodolphe Sepho (Voiles 44) et Philippe Fiston (Ville de Sainte Anne-Guadeloupe) en Class40 pour ce qui s’annonce comme un festival de sons, de lumières, d’explosions, d’allégresses et d’ivresses. Les Guadeloupéens vont allumer le feu plus puissamment encore que Johnny Halliday à Bercy… Pas besoin d’aller à Bamako : le dimanche à Pointe-à-Pitre, ça envoie du lourd entre reggae, déferlement de percussions, souk, kompa et biguine…

Ils ont dit

Emmanuel Hamez-Teranga (20ème Class40) :
« On part un peu la fleur au fusil, et puis tout ce qui doit casser dans le bateau casse… Sans compter que ça va vite devant et que ça pousse derrière. Je suis un amateur, quand j’ai vu que j’étais 20è, j’ai allumé la troisième nuit et j’ai repris 8 places : j’ai vu que j’étais dans le coup. Et je ne sais pas ce qui s’est passé, je crois qu’on est fatigué sans s’en rendre compte, ça s’accumule… C’est peut-être la différence entre les amateurs et les professionnels. Les amateurs, on fait un ou deux coups, tandis que les professionnels sont réguliers, ils ne font pas d’erreur. C’est ma troisième transat en solitaire, mais c’est ma première en Class40 : ce sont des bateaux extrêmement physiques. Si on fait une fausse manœuvre, si on met la mauvaise voile, on le paye cash. On a un crédit d’énergie qui n’est pas illimité. »

Wilfrid Clerton-Cap au Cap Locatin (4ème Classe Rhum)
« Cela me fait chaud au cœur de ramener ce bateau à Pointe-à-Pitre et ma pensée va Malino (Michel Malinovsky, ndlr). Je suis tombé amoureux de lui à La Rochelle quand j’étais petit. On a mené la tête des monocoques pendant un paquet de temps et on aurait pu finir premier sans problème, jusqu’à ce que la tête de vérin de pilote casse à 400 milles de l’arrivée. Le pilote de secours n’était pas à la hauteur pour rester en mode attaque avec le spi de 330 m2 et la grand-voile… Je dis « on », parce que le bateau et moi, on fait la paire. On s’est trouvé, et on s’est super bien entendu. On a fait des surfs et il avait la moustache à l’étrave, c’était géant. Je lui ai beaucoup parlé, il a une âme ce bateau… A mon sens, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas navigué comme ça : on reviendra dans quatre ans. L’esprit Rhum me plaît bien. Cela laisse la porte ouverte à des gens qui ont des petits budgets, de vieux bateaux… » 

Brieuc Maisonneuve-Groupement Flo (21ème Class’0)
« J’ai vraiment eu une longue succession de grosses galères qui font que, bizarrement, cinq minutes après l’arrivée, tout est déjà oublié… J’ai perdu quatre aériens, j’ai cassé tous les goussets de latte, je suis tombé en panne d’ordinateur, j’ai éclaté mon solent, j’ai perdu mon Code 5… et j’ai terminé sans pilote. Tu peux te demander où est le plaisir là-dedans. C’est après coup que tu réalises que c’est la capacité à surmonter, à renvoyer le spi quand tu as un genou à terre… C’est là toute la quintessence de la course. De ce premier Rhum, je retiens le départ, je suis passé 5è au cap Fréhel, c’était génial. Et l’arrivée sur la Guadeloupe, c’est super de retrouver tous les copains. Pendant trois semaines, j’ai vraiment été coupé du monde. Sur 21 jours en mer, il n’ y’a pas un moment où j’ai pu me poser et savourer. Pour autant, je n’ai déjà qu’une envie : c’est de refaire la course, de la refaire plus proprement que ce que j’ai fait cette fois ci ! »

Dominique Rivard-Marie Galante (22ème Class40)
« Je me sens vraiment très heureux de retrouver ma petite famille : c’est ce qui m’a manqué le plus, d’être auprès d’eux. Et le bonheur d’être arrivé au bout : c’est tout de même une Route du Rhum, et au risque de me répéter, celle-là je vais pouvoir me la tatouer ! C’est indélébile dans mon cœur et dans mon corps. Tous ces derniers jours, ce n’étaient que des surfs : je regardais derrière mon sillage et c’étaient des images d’une beauté, d’une intensité, d’une force incroyables ! Il faisait beau, le soleil resplendissait, la mer était magnifique : je suis allé chercher cela sur cette transat en solitaire, ces gravures qui m’imprègnent encore et que je garderais toujours. J’avais déjà fait des transats, mais là en course, il y a une énergie, une dynamique, une force extraordinaires… Je me considère maintenant comme un marin hauturier : j’ai vraiment intégré la grande famille de la voile. C’était un voyage absolument magique ! »

 

Source: Penduick communiqué du 23.11.14

Crédit photos © A.COURCOUX

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